L'appel à minuit

apprendre à communiquer

Nous savons tous ce que c'est que de recevoir un appel téléphonique au milieu de la nuit. Cette nuit-là, ce n'était pas différent. Secouée par la sonnerie de l'appel, je regardais l'écran lumineux de mon réveil. Minuit. Des pensées de panique envahissaient mon esprit embrumé pendant que je saisissais le combiné.
"Allô ?"
Mon coeur martelait pendant que je serrais le téléphone et regardais mon mari qui est maintenant complètement retourné vers moi dans le lit.
"Maman ?". J'entendais à peine le chuchotement dans l'écouteur. Mais mes pensées allèrent immédiatement vers ma fille. Quand la jeune voix sanglotante en détresse devenait plus claire, j'attrapais mon mari et je lui serrais le poignet.
"Maman, je sais qu'il est tard. Mais je t'en prie, ne dis rien, laisse-moi finir. Et avant que tu me le demandes, oui, j'ai bu, et j'ai failli quitter la route quelques kilomètres plus loin.
Je poussais un bref soupir, je relâchais la main de mon mari et pressais ma main sur le front. L'esprit encore endormi, j'essayais de lutter contre la panique. Il y a quelque chose d'anormal.
"Et j'ai eu très peur, je n'arrêtais pas de penser à combien ça te ferait mal si un gendarme sonnait à la porte pour t'annoncer que je me suis tuée sur la route. Je voudrais rentrer à la maison. Je sais que ce n'est pas bien de fuguer. Je sais que tu devais être morte d'inquiétude. J'aurais dû t'appeler quelques jours plus tôt mais j'avais peur, tellement peur."
Des sanglots d'émotions traversaient le téléphone pour se déverser droit dans mon coeur. Immédiatement je voyais le visage de ma fille et je reprenais mes esprits.
"Je pense que..."
"Non, laisse-moi finir, s'il te plaît, laisse-moi finir", insista-t-elle, pas tant de colère que de désespoir.
Je m'arrêtais pour chercher quoi dire. Avant que j'aie pu reprendre, elle continua : "Je suis enceinte, maman, je sais que je n'aurais pas dû boire maintenant, surtout maintenant, mais j'ai eu peur, maman, je suis effrayée."
La voix s'interrompait de nouveau. Et je me mordais les lèvres, sentant que les larmes me viennent à l'oeil. Je regardais mon mari qui s'était assis pour me parler en articulant sans bruit.
"Qui est-ce ?"
Je secouais la tête, et en l'absence de réponse de ma part, il bondissait à travers la chambre pour revenir quelques secondes plus tard avec le téléphone sans fil à l'oreille.
Elle a dû entendre le clic sur la ligne car elle continuait : "Tu es toujours là ? Je t'en prie, ne raccroche pas, ne me laisse pas, j'ai besoin de toi. Je me sens tellement seule."
Je m'agrippais au téléphone et je scrutais mon mari pour obtenir de l'aide.
"Je suis là, je ne raccrocherai pas." disais-je
"J'aurais dû t'en parler, maman, je sais j'aurais dû t'en parler. Seulement à chaque fois qu'on se parle, tu ne cesses de me dire ce que je dois faire. Tu lis tous ces livres sur comment communiquer avec les adolescents et tout, mais tout ce que tu fais, c'est de parler. Tu ne m'écoutes jamais. Tu ne laisses jamais dire ce que je ressens. C'est comme si mes sentiments n'avaient aucune importance. Parce que tu es ma mère, tu penses posséder toutes les réponses. Mais parfois je n'ai pas besoin de réponses, parfois j'ai seulement besoin que quelqu'un m'écoute."
J'avalais ma salive et fixais du regard les livres sur comment-communiquer-avec-les-adolescents empilés sur ma table de nuit.
"Tu sais, tout à l'heure, sur la route quand j'ai repris le contrôle de la voiture, j'ai commencé à penser au bébé et à prendre soin de lui. Et puis j'ai aperçu la cabine téléphonique et c'était comme si je t'entendais prêcher sur pourquoi les gens ne devraient pas boire et conduire en même temps. Alors j'ai appelé un taxi. Je voudrais rentrer à la maison."
"C'est bien, ma chérie." répondis-je, éprouvant un soulagement dans la poitrine. Mon mari s'approcha de moi, s'assit à mes côtés et entrelaça ses doigts dans les miennes. J'ai su par son toucher qu'il pensait que je suis en train de faire et dire ce qu'il faut.
"Mais tu sais, je crois que je peux conduire maintenant."
"Non !" criais-je hargneusement. Mes muscles se raidissaient et je serrais les doigts de mon mari.
"Non ! Attends le taxi ! Ne raccroche pas avant qu'il arrive."
"Je voudrais seulement rentrer, maman."
"Je sais. Mais fais ça pour ta maman. Attends le taxi, je t'en prie."
J'écoutais le lourd silence inquiétant. Comme je ne recevais pas de réponse, je me mordais les lèvres et fermais les yeux. Il faut que je l'empêche d'une façon ou d'une autre de reprendre le volant.
"Voilà le taxi."
C'est seulement quand j'entendis une voix à l'arrière plan parlant de taxi que j'ai senti les tensions se dissiper.
"Je rentre, maman." Il y a eu un clic et ce fut le silence.
Me levant du lit, les yeux embués de larmes, je traversais le couloir pour pénétrer dans la chambre de ma fille de 16 ans. Le silence était total dans la maison. Mon mari s'approcha de moi dans le dos, m'entoura de ses bras et posa son menton sur ma tête. J'essuyais les larmes sur mes joues.
"On a besoin d'apprendre à écouter." lui dis-je. Il me retournait pour lui faire face.
"Nous apprendrons, tu verras." Puis il me prit dans ses bras et j'enfouissais ma tête dans son épaule. Je le laissais me tenir un long moment puis je me retournais regarder en direction du lit. Il m'observait une seconde et demanda.
"Penses-tu qu'elle saura un jour qu'elle a fait un mauvais numéro ?". Je regardais ma fille dans son sommeil puis de nouveau vers mon mari.
"Ce n'est peut-être pas un si mauvais numéro que ça."
"Maman, Papa. Que faites-vous là ? La jeune voix feutrée venait du dessous des couvertures.
Je m'approchais de ma fille qui s'est maintenant relevée sur son lit, le regard dans l'obscurité.
"Nous nous entraînons." répondis-je.
"A quoi vous entraînez-vous ?" marmonna-t-elle en se recouchant, les yeux déjà refermés.
" A écouter." murmurais-je en passant ma main sur ses joues.

Christie Craig.

Auteur, journaliste, photographe.
http://www.ccraig.comm




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Dernière mise à jour : 20 février 2014